XXII
LE CONCEPT DE L'ANALYSE

 

 

L'intellectuel et l'affectif.

L'amour et la haine dans l'imaginaire et dans le symbolique.

Ignorantia docta.

L’investiture symbolique.

 Le discours comme travail.

 L'obsédé et son maître.

 

 

Qui a des questions à poser ?

 

Mme Aubry : – Je comprends qu'à la conjonction de Vimaginaire et du réel on trouve la haine, à condition de prendre conjonction dans le sens de rupture. Ce que je comprends moins, c'est qu'à la conjonction du symbolique et de l'imaginaire, on trouve l'amour.

 

Je suis enchanté de votre question. Elle va peut-être me permettre de donner à notre dernière rencontre de l'année cette atmosphère que je préfère familière plutôt que magistrale.

 

1

 

Leclaire, vous aussi vous avez sûrement des choses à demander. La dernière fois, vous m'avez dit après la séance quelque chose qui ressemblait beaucoup à une question – J'aurais bien aimé que vous me parliez du transfert quand même.

 

Ils sont durs, quand même– je ne leur parle que de ça, et ils ne sont pas satisfaits. Il y a des raisons profondes pour lesquelles vous resterez toujours sur votre faim sur le sujet du transfert. Néanmoins, nous allons encore essayer de traiter aujourd'hui ce sujet.

Si je voulais exprimer les trois temps de la structuration de la parole à la recherche de la vérité sur le modèle d'un de ces tableaux allégoriques qui florissaient à l'époque romantique comme la vertu poursuivant le crime, aidée par le remords,je vous dirais –  L’erreur fuyant dans la tromperie et rattrapée par la méprise.J'espère que vous voyez que ça vous peint le transfert, tel que j'essaie de vous le faire saisir dans les moments de suspension que connaît l'aveu de la parole.

 

Dr Leclaire : – Oui.

 

Sur quoi en somme, restez-vous sur votre faim ? Peut-être sur l'articulation de ce que je vous raconte avec la conception commune du transfert ?

 

Dr Leclaire : – Quand on regarde ce qui est écrit sur le transfert, on a toujours l’impression que le phénomène du transfert entre dans la catégorie des manifestations d'ordre affectif, des émois, par opposition aux autres manifestations, d'ordre intellectuel, comme les démarches qui visent à la compréhension. On se trouve donc toujours gêné, lorsqu'on essaie de rendre compte en des termes courants et communs de la perspective qui est la vôtre sur le transfert. Les définitions du transfert disent toujours qu'il s'agit d'émoi, de sentiment de phénomène affectif, ce qui est carrément opposé à tout ce qui, dans une analyse, peut s'appeler intellectuel.

 

Oui... Voyez-vous, il y a deux modes d'application d'une discipline qui se structure en un enseignement. Il y a ce que vous entendez, et puis ce que vous en faites. Ces deux plans ne se recouvrent pas, mais ils peuvent se rejoindre sur un certain nombre de signes seconds. C'est sous cet angle que je vois ce qu'il peut y avoir de fécond dans toute action vraiment didactique. Il ne s'agit pas tant de vous transmettre des concepts, que de vous les expliquer en vous laissant par conséquent le relais de les remplir, et la charge. Mais il y a quelque chose qui est peut-être plus impératif encore, c'est de vous désigner les concepts dont il ne faut jamais se servir.

S'il y a quelque chose de cet ordre dans ce que je vous enseigne ici, c'est, ceci – je vous prie, chacun de vous, à l'intérieur de votre propre recherche de la vérité, de renoncer radicalement – ne serait-ce qu'à titre provisoire pour voir si on ne gagne pas à s'en passer – à utiliser une opposition comme celle de l'affectif et de l'intellectuel.

Il est trop clair qu'à en user on arrive à une série d'impasses pour qu'il ne soit pas tentant de suivre cette consigne pendant un certain temps. Cette opposition est des plus contraires à l'expérience analytique et des plus obscurcissantes quant à sa compréhension.

Vous me demandez de rendre compte de ce que j'enseigne, et des objections que cet enseignement peut rencontrer. Je vous enseigne le sens et la fonction de l'action de la parole, pour autant que c'est là l'élément de l'interprétation. C'est elle qui est le médium fondateur du rapport intersubjectif, et qui modifie rétroactivement les deux sujets. C'est la parole qui, littéralement, crée ce qui les instaure dans cette dimension de l'être que j'essaie de vous faire entrevoir.

Il ne s'agit pas là d'une dimension intellectuelle. Si l'intellectuel se situe quelque part, c'est au niveau des phénomènes de l'ego, dans la projection imaginaire de l'ego, pseudo-neutralisce – pseudo au sens de mensonge – que l'analyse a dénoncée comme phénomène de défense et de résistance.

Si vous me suivez, nous pourrons aller très loin. La question n'est pas de savoir jusqu'où on peut aller, la question est de savoir si on sera suivi. C'est là en effet un élément discriminatif de ce qu'on peut appeler la réalité.

Au cours des âges, à travers l'histoire humaine, nous assistons à des progrès dont on aurait bien tort de croire que ce sont les progrès des circonvolutions. Ce sont les progrès de l'ordre symbolique. Suivez l'histoire d'une science comme les mathématiques. On a stagné pendant des siècles autour de problèmes qui sont maintenant clairs à des enfants de dix ans. Et c'était pourtant des esprits puissants qui se mobilisaient autour. On s'est arrêté devant la résolution de l'équation du second degré pendant dix siècles de trop. Les Grecs auraient pu la trouver, puisqu'ils ont trouvé des choses plus calées dans les problèmes de maximum et de minimum. Le progrès mathématique n'est pas un progrès de-la puissance de pensée de l'être humain. C'est du jour où un monsieur pense à inventer un signe comme ça, , ou comme ça, ∫, qu'il y a du bon. Les mathématiques, c'est ça.

Nous sommes dans une position de nature différente, plus difficile. Car nous avons affaire à un symbole extrêmement polyvalent. Mais c'est seulement dans la mesure où nous arriverons à formuler adéquatement les symboles de notre action que nous ferons un pas en avant. Ce pas en avant, comme tout pas en avant, est aussi un pas rétroactif. C'est pourquoi je dirais que nous sommes en train d'élaborer ainsi, dans la mesure où vous me suivez, une psychanalyse. Notre pas en avant dans la psychanalyse, est en même temps un retour à l'aspiration de son origine.

De quoi s'agit-il donc? D'une compréhension plus authentique du phénomène du transfert.

 

Dr Leclaire : – Je n'avais pas tout à fait fini. Si je pose cette question, c'est qu'elle reste toujours un petit peu en arrière chez nous. Il est bien évident que dans le groupe que nous formons, les termes d'affectif et d'intellectuel n'ont plus cours.

 

Il y a intérêt à ce qu'ils n'aient plus cours. Qu'est-ce qu'on peut en faire ?

 

Dr Leclaire : – Mais justement, c'est une chose qui reste toujours un peu suspendue depuis Rome.

 

Je crois que je ne m'en sers pas une seule fois dans ce fameux discours de Rome, sauf pour rayer le terme intellectualisé.

 

Dr Leclaire : – Précisément, ça avait heurté, et cette absence, et ces attaques directes contre le terme d'affectif

 

Je crois que c'est un terme qu'il faut absolument rayer de nos papiers.

 

Dr Leclaire : – Je voulais en vous posant cette question liquider quelque chose qui était resté en suspens. La dernière fois, en parlant de transfert, vous avez introduit trois passions fondamentales parmi lesquelles l'ignorance. C'est là que je voulais en venir.

 

2

 

J'ai voulu la dernière fois introduire, comme une troisième dimension, l'espace, ou plutôt le volume, des rapports humains dans la relation symbolique. C'est tout à fait intentionnellement que c'est seulement la dernière fois que j'ai parlé de ces arêtes passionnelles. Comme l’a fort bien souligné Mme Aubry par sa question, ce sont des points de jonction, des points de rupture, des crêtes qui se situent entre les différents domaines où s'étend la relation inter-humaine, le réel, le symbolique, l'imaginaire.

L'amour se distingue du désir, considéré comme la relation-limite qui s'établit de tout organisme à l'objet qui le satisfait. Car sa visée n'est pas de satisfaction, mais d'être. C'est pourquoi on ne peut parler d'amour que là où la relation symbolique existe comme telle.

Apprenez à distinguer maintenant l'amour comme passion imaginaire, du don actif qu'il constitue sur le plan symbolique. L'amour, l'amour de celui qui désire être aimé, est essentiellement une tentative de capturer l'autre dans soi-même, dans soi-même comme objet. La première fois que j'ai parlé longuement de l'amour narcissique, c'était, souvenez-vous-en, dans le prolongement même de la dialectique de la perversion.

Le désir d'être aimé, c'est le désir que l'objet aimant soit pris comme tel, englué, asservi dans la particularité absolue de soi-même comme objet. Celui qui aspire à être aimé se satisfait fort peu, c'est bien connu, d'être aimé pour son bien. Son exigence est d'être aimé aussi loin que peut aller la complète subversion du sujet dans une particularité, et dans ce que cette particularité peut avoir de plus opaque, de plus impensable. On veut être aimé pour tout – pas seulement pour son moi, comme le dit Descartes, mais pour la couleur de ses cheveux, pour ses manies, pour ses faiblesses, pour tout.

Mais inversement, et je dirai corrélativement, à cause de cela même, aimer c'est aimer un être au-delà de ce qu'il apparaît être. Le don actif de l'amour vise l'autre, non pas dans sa spécificité, mais dans son être.

 

O. Mannoni : – C'est Pascal qui disait cela, ce n'est pas Descartes.

 

Il y a un passage dans Descartes sur l'épuration progressive du moi au-delà de toutes les qualités particulières.

Mais vous n'avez pas tort, pour autant que Pascal essaie de nous emmener au-delà de la créature.

 

O. Mannoni : -il l’a dit carrément.

 

Oui, mais c'était dans un mouvement de rejet.

L'amour, non plus comme passion mais comme don actif, vise toujours, au-delà de la captivation imaginaire, l'être du sujet aimé, sa particularité. C'est pourquoi il peut en accepter très loin les faiblesses et les détours, il peut même en admettre les erreurs, mais il y a un point où il s'arrête, un point qui ne se situe que de l'être – quand l'être aimé va trop loin dans la trahison de lui-même et persévère dans la tromperie de soi, l'amour ne suit plus.

Cette phénoménologie repérable à l'expérience, je ne vous en fais pas tout le développement. Je me contente de vous faire remarquer que l'amour, en tant qu'il est une des trois lignes de partage dans laquelle s'engage le sujet quand il se réalise symboliquement dans la parole, se dirige vers l'être de l'autre. Sans la parole en tant qu'elle affirme l'être, il y a seulement Verliebtheit,fascination imaginaire, mais il n'y a pas l'amour. Il y a l'amour subi, mais non pas le don actif de l'amour.

Eh bien, la haine, c'est la même chose. Il y a une dimension imaginaire de la haine, pour autant que la destruction de l'autre est un pôle de la structure même de la relation intersubjective. C'est, je vous l'ai indiqué, ce que Hegel reconnaît comme l'impasse de la coexistence de deux consciences, d'où il déduit son mythe de la lutte de pur prestige. Là même, la dimension imaginaire est encadrée par la relation symbolique, et c'est pourquoi la haine ne se satisfait pas de la disparition de l'adversaire. Si l'amour aspire au développement de l'être de l'autre, la haine veut le contraire, soit son abaissement, son déroutement, sa déviation, son délire, sa négation détaillée, sa subversion. C'est en cela que la haine, comme l'amour, est une carrière sans limite.

Cela est peut-être plus difficile à vous faire entendre, parce que, pour des raisons qui ne sont peut-être pas si réjouissantes que nous pourrions le croire, nous connaissons moins de nos jours le sentiment de la haine que dans des époques où l'homme était plus ouvert à sa destinée.

Certes, nous avons vu, il n'y a pas très longtemps, des manifestations qui, dans ce genre, n'étaient pas mal. Néanmoins, les sujets n'ont pas, de nos jours, à assumer le vécu de la haine dans ce qu'elle peut avoir de plus brûlant. Et pourquoi ? Parce que nous sommes déjà très suffisamment une civilisation de la haine. Le chemin de la course à la destruction n'est-il pas vraiment très bien frayé chez nous? La haine s'habille dans notre discours commun de bien des prétextes, elle rencontre des rationalisations extraordinairement faciles. Peut-être est-ce cet état de floculation diffuse de la haine qui sature en nous l'appel à la destruction de l'être. Comme si l'objectivation de l'être humain dans notre civilisation correspondait exactement à ce qui, dans la structure de l'ego, est le pôle de la haine.

 

O. Mannoni : – Le moralisme occidental.

 

Exactement. La haine trouve là à se nourrir d'objets quotidiens. On aurait tort de croire pour autant qu'elle soit absente dans des guerres où, pour des sujets privilégiés, elle est pleinement réalisée.

Entendez bien qu'en vous parlant d'amour et de haine, je vous désigne les voies de la réalisation de l'être, non pas la réalisation de l'être, mais seulement ses voies.

Et pourtant, si le sujet s'engage dans la recherche de la vérité comme telle, c'est parce qu'il se situe dans la dimension de l'ignorance – peu importe qu'il le sache ou pas. C'est là un des éléments de ce que les analystes appellent readiness to the transference,ouverture au transfert. Il y a chez le patient ouverture au transfert du seul fait qu'il se met dans la position de s'avouer dans la parole, et chercher sa vérité au bout, au bout qui est là, dans l'analyste. Chez l'analyste aussi il convient de considérer l'ignorance.

L'analyste ne doit pas méconnaître ce que j'appellerai le pouvoir d'accession à l'être de la dimension de l'ignorance, puisqu'il a à répondre à celui qui, par tout son discours, l'interroge dans cette dimension. Il n'a pas à guider le sujet sur un Wissen,un savoir, mais sur les voies d'accès à ce savoir. Il doit l'engager dans une opération dialectique, non pas lui dire qu'il se trompe puisqu'il est forcément dans l'erreur, mais lui montrer qu'il parle mal, c'est-à-dire qu'il parle sans savoir, comme un ignorant, car ce sont les voies de son erreur qui comptent.

La psychanalyse est une dialectique, et ce que Montaigne, en son livre III, chapitre vin, nomme un art de conférer.L'art de conférer de Socrate dans le Ménon,c'est d'apprendre à l'esclave à donner son vrai sens à sa propre parole. Et cet art est le même chez Hegel. En d'autres termes, la position de l'analyste doit être celle d'une ignorantia docta,ce qui ne veut pas dire savante, mais formelle, et qui peut être, pour le sujet, formante.

La tentation est grande, parce qu'elle est dans l'air du temps, de ce temps de la haine, de transformer l’ignorantia docta en ce que j'ai appelé, ce n'est pas d'hier, une ignorantia docens.Que le psychanalyste croie savoir quelque chose, en psychologie par exemple, et c'est déjà le commencement de sa perte, pour la bonne raison qu'en psychologie personne ne sait grand-chose, si ce n'est que la psychologie est elle-même une erreur de perspective sur l'être humain.

Il me faut prendre des exemples banaux pour vous faire entendre ce qu'est la réalisation de l'être de l'homme, parce que vous le mettez malgré vous dans une perspective erronée, celle d'un faux savoir.

Vous devez tout de même vous apercevoir que, quand l'homme dit je suis,ou je serai,voire j'aurai étéou je veux être,il y a toujours un saut, une béance. Il est tout aussi extravagant, par rapport à la réalité, de dire je suis psychanalysteque je suis roi.L'un et l'autre sont des affirmations entièrement valables, que rien ne justifie pourtant dans l'ordre de ce qu'on peut appeler la mesure des capacités. Les légitimations symboliques en fonction de quoi un homme assume ce qui lui est conféré par d'autres échappent entièrement au registre des habilitations capacitaires.

Quand un homme refuse d'être roi, ça n'a pas du tout la même valeur que quand il accepte. Par le fait même qu'il refuse, il n'est pas roi. Il est un petit bourgeois – voyez par exemple le duc de Windsor. L'homme qui, au bord d'être investi de la signification de la couronne, dit – Je veux vivre avec la femme que j'aime – reste par là même en deçà du domaine d'être roi.

Mais quand l'homme dit – et le disant, il l'est, en fonction d'un certain système de relations symboliques – dit Je suis roi– ce n'est pas simplement l'acceptation d'une fonction. Ça change d'une minute à l'autre le sens de toutes ses qualifications psychologiques. Ça donne un sens tout différent à ses passions, à ses desseins, à sa sottise même. Toutes ces fonctions deviennent, du seul fait qu'il est roi, des fonctions royales. Dans le registre de la royauté, son intelligence devient tout à fait autre chose, ses incapacités mêmes commencent de polariser, de structurer toute une série de destins autour de lui qui se trouveront profondément modifiés pour la raison que l'autorité royale sera exercée selon tel mode par le personnage qui en est investi.

Cela se rencontre au petit pied tous les jours – qu'un monsieur qui a des qualités fort médiocres et qui présente toutes sortes d'inconvénients dans tel emploi inférieur, soit élevé à une investiture en quelque façon souveraine, dans un domaine si limité soit-il, et il change du tout au tout. Vous n'avez qu'à l'observer tous les jours, la portée autant de ses forces que de ses faiblesses se transforme, et leur rapport peut s'en trouver inversé.

C'est aussi ce qui se voit d'une façon effacée, non avouée, dans les habilitations, les examens. Pourquoi, depuis le temps que nous sommes devenus de si forts psychologues, n'avons-nous pas réduit ces franchissements divers qui avaient autrefois une valeur initiatique, licences, agrégations, etc. ? Si nous avions vraiment aboli cette valeur, pourquoi ne pas réduire l'investiture à la totalisation du travail acquis, des notes enregistrées dans l'année, ou même à un ensemble de tests ou d'épreuves qui mesurerait la capacité des sujets ? Pourquoi garder à ces examens je ne sais quel caractère archaïque ? Nous nous insurgeons contre ces éléments de hasard et de faveur à la façon des gens qui tapent aux murailles de la prison qu'ils ont eux-mêmes construite. La vérité, c'est simplement qu'un concours, en tant qu'il revêt le sujet d'une qualification qui est symbolique, ne peut avoir une structure entièrement rationalisée, et ne peut s'inscrire tout bonnement dans le registre de l'addition de la quantité.

Alors, quand nous rencontrons ça, nous nous trouvons très malins et nous nous disons – Mais oui, faisons un grand article psychanalytique pour montrer le caractère initiatique de l'examen.

Ce caractère est évident. C'est heureux qu'on s'en aperçoive. Mais il est malheureux que le psychanalyste ne l'explique pas toujours très bien. Il fait une découverte partielle, qu'il explique en termes d'omnipotence de la pensée, de pensée magique, alors que c'est la dimension du symbole qui est là fondamentale.

 

 

3

 

Qui a d'autres questions à me poser ?

 

Dr Bejarano : – Je pense à un exemple concret. Il faudrait essayer de nous montrer dans le cas Dora comment les différents registres sont suivis.

 

Dans le cas Dora, on reste un peu à la porte de ça, mais je peux quand même vous le situer un peu en vous apportant une réponse conclusive sur la question du transfert dans son ensemble.

L'expérience analytique est instaurée par les premières découvertes de Freud, sur le trépied rêve, lapsus, trait d'esprit. Un quatrième élément est le symptôme, qui peut servir, non pas de verbum,puisqu'il n'est pas fait de phonèmes, mais de signum,sur la base de l'organisme – si vous vous souvenez des différentes sphères distinguées dans le texte d'Augustin. C'est dans cette expérience, et avec retard sur l'instauration de celle-ci – Freud lui-même dit avoir été apeuré —, qu'il isole le phénomène du transfert. De n'être pas reconnu, le transfert a opéré comme obstacle au traitement. Reconnu, il devient le meilleur appui du traitement.

Mais avant même de s'apercevoir de l'existence du transfert, Freud l'avait déjà désigné. En effet, il y a déjà dans la Traumdeutungune définition de l’Übertragungen fonction du double niveau de la parole, je vous l'ai dit. Il y a des parties du discours désinvesties de significations qu'une autre signification, la signification inconsciente, vient prendre par-derrière. Freud le montre à propos du rêve, et je vous l'ai fait voir dans des lapsus éclatants.

Du lapsus, j'ai malheureusement peu parlé cette année. Or, c'est là une dimension fondamentale, puisque c'est la face radicale de non-sens que présente tout sens. Il y a un point où le sens émerge, et est créé. Mais en ce point même, l'homme peut très bien sentir que le sens est en même temps anéanti, que c'est d'être anéanti qu'il est créé. Le trait d'esprit, qu'est-ce que c'est ? – sinon l'irruption calculée du non-sens dans un discours qui a l'air d'avoir un sens.

 

O. Mannoni : – C'est le point ombilical de la parole.

 

Exactement. Dans le rêve, il y a un ombilic extrêmement confus. Inversement, l'ombilic du trait d'esprit est parfaitement aigu – le Witz. Et ce qui en exprime l'essence la plus radicale, c'est le non-sens.

Eh bien, ce transfert, nous nous apercevons qu'il est notre appui.

Je vous ai indiqué trois directions dans lesquelles il est compris par les différents auteurs. Cette tripartition, qui n'est que didactique, doit vous permettre de vous retrouver dans les tendances actuelles de l'analyse – et ça n'est pas brillant.

Certains veulent comprendre le phénomène du transfert par rapport au réel, c'est-à-dire en tant que phénomène actuel. On croit casser une grande vitre en disant que toute analyse doit porter sur l’hic et nunc.On croit avoir trouvé là quelque chose d'éblouissant, avoir fait un pas hardi. Esriel écrit sur ce thème des choses touchantes, qui enfoncent des portes ouvertes : le transfert est là, il s'agit simplement de savoir ce que c'est. Si nous prenons le transfert sur le plan du réel, voilà ce que ça donne – c'est un réel qui n'est pas réel, mais illusoire. Le réel, c'est que le sujet est là, en train de me parler de ses démêlés avec son épicier. L'illusoire, c'est qu'en râlant contre son épicier, c'est moi qu'il engueule – c'est un exemple d'Esriel. Il en conclut donc qu'il s'agit de démontrer au sujet qu'il n'y a vraiment aucune raison qu'il m'engueule à propos de son épicier.

Ainsi, partant des émotions, de l'affectif, de l'abréaction, et autres termes qui désignent un certain nombre de phénomènes parcellaires qui se passent en effet pendant l'analyse, on n'en aboutit pas moins, je vous le fais remarquer, à quelque chose d'essentiellement intellectuel. Procéder sur cette base conduit en fin de compte à une pratique équivalente aux premières formes d'endoctrination qui nous scandalisent tellement dans la conduite de Freud avec ses premiers cas. Il faudrait apprendre au sujet à se comporter dans le réel, lui montrer qu'il n'est pas à la page. Si ce n'est pas de l'éducation et de l'endoctrination, je me demande ce que c'est. C'est en tout cas une façon toute superficielle de prendre le phénomène.

Il y a une autre façon d'aborder le problème du transfert, c'est de le faire à ce niveau de l'imaginaire dont on ne manque pas ici de souligner l'importance. Le développement relativement récent de l'éthologie animale nous permet d'en donner une structuration plus claire que Freud. Mais cette dimension a bien été nommée comme telle dans le texte de Freud – imaginare. Comment aurait-il pu l'éviter ? Vous l'avez vu cette année dans l’Introduction au narcissisme,le rapport du vivant aux objets qu'il désire est lié à des conditions de Gestaltqui situent comme telle la fonction de l'imaginaire.

La fonction de l'imaginaire n'est pas du tout méconnue dans la théorie analytique, mais ne l'introduire que pour traiter du transfert, c'est se tirer un volet sur chaque oreille, car elle est partout présente, et en particulier quand il s'agit de l'identification. Seulement, il s'agit de ne pas l'employer à tort et à travers.

Remarquons à ce propos que la fonction de l'imaginaire est en jeu dans le comportement de tout couple animal.

Dans toutes les actions liées au moment de l'appariement des individus pris dans le cycle du comportement sexuel, une dimension de parade apparaît. Au cours de la parade sexuelle, chacun des individus se trouve capté dans  une situation duelle, où s'établit, par le truchement de la relation imaginaire, une identification – momentanée sans doute parce que liée au cycle instinctuel.

De même, au cours de la lutte entre les mâles, on peut voir les sujets s'accorder dans une lutte imaginaire. Il y a là, entre les adversaires, une régulation à distance, qui transforme la lutte en une danse. Et, à un moment donné, comme dans la pariade, les rôles sont choisis, la domination de l'un est reconnue, sans qu'on en vienne, je ne dirai pas aux mains, mais aux griffes, aux dents, et aux piquants. Un des partenaires prend l'attitude passive et subit la prépondérance de l'adversaire. Il se dérobe devant lui, adopte un des rôles, et manifestement en fonction de l'autre, c'est-à-dire en fonction de ce que l'autre a excipé sur le plan de la Gestalt.Les adversaires évitent une lutte réelle qui conduirait à la destruction de l'un d'eux – et transposent le conflit sur le plan imaginaire. Chacun se repère sur l'image de l'autre, et une régulation opère, qui distribue les rôles à l'intérieur de la situation d'ensemble, qui est diadique.

Chez l'homme, l'imaginaire est réduit, spécialisé, centré sur l'image spéculaire, qui fait à la fois les impasses et la fonction de la relation imaginaire.

L'image du moi – du seul fait qu'il est image, le moi est moi idéal – résume toute la relation imaginaire chez l'homme. De se produire à un moment où les fonctions sont encore inachevées, elle présente une valeur salutaire, assez exprimée dans l'assomption jubilatoire du phénomène du miroir, mais elle n'en est pas moins en relation avec la prématuration vitale et donc avec un déficit original, avec une béance à quoi elle reste liée dans sa structure.

Cette image de soi, le sujet la retrouvera sans cesse comme le cadre même de ses catégories, de son appréhension du monde – objet, et ce, par l'intermédiaire de l'autre. C'est dans l'autre qu'il retrouvera toujours son moi idéal, d'où se développe la dialectique de ses relations à l'autre.

 

Si l'autre sature, remplit cette image, il devient l'objet d'un investissement narcissique qui est celui de la Verliebtheit.Rappelez-vous Werther rencontrant Charlotte au moment où elle tient dans les bras un enfant – ça tombe pile dans l'imago narcissique, du jeune héros du roman. Si, au contraire, sur le même versant, l'autre apparaît comme frustrant le sujet de son idéal et de sa propre image, il engendre la tension destructrice maxima. A un rien près, le rapport imaginaire à l'autre tourne dans un sens ou dans l'autre, ce qui donne la clef des questions que se pose Freud à propos de la transformation subite, dans la Verliebtheit,entre l'amour et la haine.

Ce phénomène de l'investissement imaginaire joue dans le transfert un rôle-pivot.

Le transfert, s'il est vrai qu'il s'établit dans et par la dimension de la parole, n'apporte la révélation de ce rapport imaginaire que parvenu en certains points cruciaux de la rencontre parlée avec l'autre, c'est-à-dire ici, avec l'analyste. Le discours, dénoué d'un certain nombre de ses conventions par la règle dite fondamentale, se met à jouer plus ou moins librement par rapport au discours ordinaire, et ouvre le sujet à cette méprise féconde par où la parole véridique rejoint le discours de l'erreur. Mais aussi, quand la parole fuit la révélation, la méprise féconde, et se développe dans la tromperie – dimension essentielle, qui nous interdit précisément d'éliminer le sujet comme tel de notre expérience, et de la réduire à des termes objectaux – ces points se découvrent qui, dans l'histoire du sujet, n'ont pas été intégrés, assumés, mais refoulés.

Le sujet développe dans le discours analytique ce qui est sa vérité, son intégration, son histoire. Mais il y a des trous dans cette histoire, là où s'est produit ce qui a été verworfenou verdankt. Verdankt– c'est, un moment, venu au discours et ça a été rejeté. Verworfen– le rejet est originel. Je ne veux pas m'étendre pour l'instant sur cette distinction.

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Le phénomène du transfert rencontre la cristallisation imaginaire. Il tourne autour et il doit la rejoindre.

En O, je situe la notion inconsciente du moi du sujet. Cet inconscient est fait de ce que le sujet méconnaît essentiellement de son image structurante, de l'image de son moi – soit les captivations aux fixations imaginaires qui furent inassimilables au développement symbolique de son histoire – cela veut dire que c'était traumatique.

Dans l'analyse, de quoi s'agit-il ? Que le sujet puisse totaliser les divers accidents dont la mémoire est gardée en O, sous une forme qui est fermée à son accès. Elle ne s'ouvre que par la verbalisation, c'est-à-dire par la médiation de l'autre, soit l'analyste. C'est par l'assomption parlée de son histoire, que le sujet s'engage dans la voie de la réalisation de son imaginaire tronqué.

Cette complémentation de l'imaginaire s'accomplit dans l'autre, à mesure que le sujet l'assume dans son discours, en tant qu'il le fait entendre à l'autre.

Ce qui est du côté de O passe du côté de O'. Tout ce qui se profère de A, du côté du sujet, se fait entendre en B, du côté de l'analyste.

L'analyste l'entend, mais, en retour, le sujet aussi. L'écho de son discours est symétrique au spéculaire de l'image. Cette dialectique tournante, que je vous représente sur le schéma par une spirale, serre de toujours plus près O' et O. Le progrès du sujet dans son être doit finalement l'amener en O, par une série de points qui se répartissent entre A et O.

Sur cette ligne, remettant cent fois l'ouvrage sur le métier, le sujet, avouant son histoire en première personne, progresse dans l'ordre des relations symboliques fondamentales où il a à trouver le temps, résolvant les arrêts et les inhibitions qui constituent le surmoi. Il y faut le temps.

Si les échos du discours s'approchent trop vite du point O' – c'est-à-dire si le transfert se fait trop intense – il se produit un phénomène critique qui évoque la résistance, la résistance sous la forme la plus aiguë où on puisse la voir se manifester – le silence. En quoi vous saisissez, n'est-ce pas, que, comme le dit Freud, le transfert devient un obstacle quand il est excessif.

Il faut dire aussi que, si ce moment arrive en temps opportun, le silence prend toute sa valeur de silence – il n'est pas simplement négatif, mais il vaut comme un au-delà de la parole. Certains moments de silence dans le transfert représentent l'appréhension la plus aiguë de la présence de l'autre comme tel.

Une dernière remarque. Où situer le sujet, en tant qu'il se distingue du point O ? Il est nécessairement quelque part entre A et O – beaucoup plus près de O que tout autre point – disons, pour y revenir, en C.

Quand vous m'aurez quitté pour des vacances que je vous souhaite bonnes, je vous prie de relire à la lumière de ces réflexions les précieux petits écrits techniques de Freud. Relisez-les, et vous verrez à quel point ils prendront pour vous un sens nouveau et plus vivant. Vous vous apercevrez que les contradictions apparentes à propos du transfert, à la fois résistance et moteur de l'analyse, ne se comprennent que dans la dialectique de l'imaginaire et du symbolique.

Des analystes non sans mérite ont exposé que la technique la plus moderne de l'analyse, celle qui se pare du titre d'analyse des résistances, consiste à isoler dans le moi du sujet – single-out,le terme est de Bergler – un certain nombre de patternsqui se présentent comme mécanismes de défense, par rapport à l'analyste. Il s'agit là d'une perversion radicale de la notion de défense telle qu'elle a été introduite par Freud dans ses premiers écrits, et réintroduite par lui au moment de Inhibition, symptôme, angoisse,un de ses articles les plus difficiles et qui a prêté au plus de malentendus.

C'est là, pour le coup, une opération intellectuelle. Car il ne s'agit plus d'analyser le caractère symbolique des défenses, mais de les lever, en tant qu'elles feraient obstacle à un au-delà, un au-delà qui n'est rien qu'un au-delà – peu importe ce qu'on y met. Lisez Fenichel, vous verrez que tout peut être pris sous l'angle de la défense. Le sujet vous livre-t-il l'expression de tendances dont le caractère sexuel ou agressif est tout à fait avoué ? Du seul fait qu'il vous les dit, on peut très bien se mettre à chercher au-delà quelque chose de beaucoup plus neutre. Si on qualifie de défense tout ce qui se présente d'abord, tout peut être légitimement considéré comme un masque, derrière quoi autre chose se cache. Cette inversion systématique est celle dont s'amuse la célèbre plaisanterie de M. Jean Cocteau – si on peut dire à quelqu'un qu'il rêve de parapluie pour des raisons qui sont sexuelles, pourquoi ne pas dire à quelqu'un qui rêve qu'un aigle se précipite sur lui pour l'agresser que c'est pour la raison qu'il a oublié son parapluie ?

A centrer l'intervention analytique sur la levée des patternsqui cacheraient cet au-delà, l'analyste n'a d'autre guide que sa propre conception du comportement du sujet. Il tente de le normaliser – selon une norme cohérente avec son propre ego. Ce sera donc toujours le modelage d'un ego par un ego, donc par un ego supérieur – comme chacun sait, l'ego de l'analyste, ce n'est pas rien.

Lisez Nunberg. Quel est à ses yeux le ressort essentiel du traitement ? La bonne volonté de l'ego du sujet, laquelle doit devenir l'allié de l'analyste. Qu'est-ce à dire ? – sinon que le nouvel ego du sujet, c'est l'ego de l'analyste. Et M. Hoffer est là pour nous dire que la fin normale du traitement, c'est l'identification à l'ego de l'analyste.

De cette fin, qui n'est rien que l'assomption parlée du moi, la réintégration non pas du moi idéal, mais de l'idéal du moi, Balint nous donne une description émouvante. Le sujet entre dans un état semi-maniaque, espèce de sublime lâchage, liberté d'une image narcissique à travers le monde – dont il faut lui laisser un peu de temps pour se remettre et retrouver tout seul les voies du bon sens.

Tout n'est pas faux dans cette conception, puisqu'il y a bien un facteur temps dans une analyse. Et c'est d'ailleurs ce qui a toujours été dit, d'une façon certes confuse. Tout analyste ne peut que le saisir dans son expérience – il y a un certain étalement du temps-pour-comprendre. Ceux qui ont assisté à mes entretiens sur L'Homme aux loupsverront là quelque référence. Mais ce temps-pour-comprendre, vous le retrouvez dans les Écrits techniquesde Freud à propos du Durcharbeiten.

Est-ce là quelque chose de l'ordre d'une usure psychologique? Ou est-ce plutôt, comme je l'ai dit dans ce que j'ai écrit sur la parole vide et la parole pleine, de l'ordre du discours, du discours comme travail ? Oui, sans aucun doute. Il faut que le discours se poursuive assez longtemps pour apparaître tout entier engagé dans la construction de l'ego. Dès lors, il peut tout d'un coup venir à se résoudre dans celui pour lequel il s'est édifié, c'est-à-dire le maître. Du même coup, il choit dans sa valeur propre, et n'apparaît plus que comme un travail.

A quoi cela nous conduit-il ? – sinon à poser de nouveau que le concept, c'est le temps. En ce sens, on peut dire que le transfert c'est le concept même de l'analyse, parce que c'est le temps de l'analyse.

L'analyse dite des résistances est toujours trop pressée de dévoiler au sujet les patternsde l'ego, ses défenses, ses caches, et c'est pourquoi l'expérience nous le montre et Freud nous l'enseigne dans un passage précis des Écrits techniques– elle ne fait pas faire un pas de plus au sujet. Freud dit – dans ce cas-là, il faut attendre.

Il faut attendre. Il faut attendre le temps nécessaire pour que le sujet réalise la dimension dont il s'agit sur le plan du symbole, c'est-à-dire dégage de la chose vécue en analyse – de cette poursuite, de cette bagarre, de cette étreinte que réalise l'analyse des résistances – la durée propre de certains automatismes de répétition, ce qui leur donne en quelque sorte valeur symbolique.

 

O. Mannoni : – Je pense que c'est un problème concret. Par exemple, il y a des obsédés dont la vie est une attente. Ils font de l'analyse une autre attente. C'est justement ce que je voudrais saisir – pourquoi cette attente de l'analyse reproduit-elle d'une certaine manière l'attente dans la vie, et la change ?

 

Parfaitement, et c'est ce qu'on me demandait à propos du cas Dora. L'année dernière, je vous ai développé la dialectique de L'Homme aux ratsautour du rapport du maître et de l'esclave. Qu'est-ce que l'obsédé attend ? La mort du maître. A quoi lui sert cette attente? Elle s'interpose entre lui et la mort. Quand le maître sera mort, tout commencera. Vous retrouvez cette structure sous toutes ses formes.

Il a raison d'ailleurs, l'esclave, c'est ajuste titre qu'il peut jouer sur cette attente. Pour reprendre un mot qu'on attribue à Tristan Bernard, au jour où on l'arrêtait pour l'emmener dans le camp de Dantzig – Jusqu'ici nous avons vécu dans l'angoisse, maintenant nous allons vivre dans l'espoir.

Le maître, disons-le bien, est dans un rapport beaucoup plus abrupt à la mort. Le maître à l'état pur est là dans une position désespérée, car il n'a rien à attendre que sa mort à lui, puisqu'il n'a rien à attendre de la mort de son esclave, si ce n'est quelques inconvénients. Par contre, l'esclave a beaucoup à attendre de la mort du maître. Au-delà de la mort du maître, il faudra bien qu'il s'affronte à la mort, comme tout être pleinement réalisé, et qu'il assume, au sens heideggerien, son être-pour-la-mort. Précisément, l'obsédé n'assume pas son être-pour-la-mort, il est en sursis. C'est ce qu'il s'agit de lui montrer. Voilà quelle est la fonction de l'image du maître en tant que tel.

 

O. Mannoni : – ... qui est l'analyste.

 

... qui est incarné dans l'analyste. C'est seulement après avoir ébauché un certain nombre de fois des sorties imaginaires hors de la prison du maître, et ce, selon certaines scansions, selon un certain timing,c'est seulement alors que l'obsédé peut réaliser le concept de ses obsessions, c'est-à-dire ce qu'elles signifient.

Dans chaque cas d'obsession, il y a nécessairement un certain nombre de scansions temporelles, et même des signes numériques. C'est ce que j'ai déjà abordé dans un article sur le Temps logique.Le sujet pensant la pensée de l'autre, voit dans l'autre l'image et l'ébauche de ses propres mouvements. Or, chaque fois que l'autre est exactement le même que le sujet, il n'y a pas de maître autre que le maître absolu, la mort. Mais il faut à l'esclave un certain temps pour voir ça.

Car il est bien trop content d'être esclave, comme tout le monde.

 

7 JUILLET 1954.

 

Jacques Lacan fait distribuer des figurines représentant des éléphants.